La poésie comme résultante d’un état particulier, celui qui permet d’écrire, rarement nous dit Myriam Eck, nécessaire à ce moment précis. La poésie par petits bouts. Petits bouts de vie interloqués, petits bouts de vie suffisamment évocateurs, petits bouts de vie d’un long poème.
Autoportrait
J’ai envie de me présenter dans mon rapport à l’écriture, car je m’y retrouve bien.
Pour écrire j’ai repéré différentes phases de travail, qui chacune nécessite que je me retrouve dans un état particulier.
Il y a une phase de production. C’est un état dans lequel je dois avoir la conviction d’avoir quelque chose à passer, une expérience ou une émotion. C’est pourquoi la plupart de mes poèmes sont adressés.
Ensuite il y a une phase de mise en résonnance des mots que j’ai écrits, pendant laquelle je dois me trouver dans un état de recherche, attentive à ce que peut provoquer tel mot avec tel autre mot, dans le laisser-aller d’une pensée associative. Souvent je tourne autour de quelques mots, simples, qui se nourrissent les uns les autres, et je produis de la matière, des expressions suffisamment évocatrices pour moi, par exemple : « Dans la tête le visage a un corps ». C’est un peu le « trouvé créé » de Winnicott, je créé le sens en même temps que je le trouve.
Vient après la phase de construction, où je sélectionne et rassemble ces bouts poétiques, pour qu’ils se tiennent les uns les autres. Pour ce montage je suis partagée entre deux voies : extraire le meilleur et produire des poèmes épurés, ou articuler une multitude de variations autour de quelques mots ce qui produit un objet apparemment obsessionnel. J’ai besoin de pouvoir m’appuyer sur un sens critique aiguisé, autrement je ne fais pas les bons choix, et je tourne en rond. De relectures en relectures, le rythme se pose sans que j’aie à y penser. Je me retrouve avec des ensembles de 4 à 5 lignes, qui s’assemblent entre eux pour donner un long poème, ou un ensemble de poèmes. Lorsque ça me semble terminé, je les envoie à des revues de poésie, où ils sont publiés, depuis 5 ans, mais je n’ai pas encore de quoi faire un livre…
Je me sens rarement en état d’écrire.
Pour écrire je dois en ressentir la nécessité, non pas pour moi, mais pour la poésie. Derrière la poésie, je place tout ce qu’elle peut avoir comme effet sur l’humanité. Je considère la poésie comme essentiellement politique : j’ai à explorer du sens, à en produire, à en ramener à vivre à l’humanité. Les poèmes que je « réussis à écrire » sont le produit de mon désir et de mon impuissance face à cette « mission colossale ». Certains poèmes portent clairement en eux, et au lecteur, l’énergie de cette lutte. D’autres sont le souffle qui m’emporte lorsque, au moment où j’y renonce, la poésie me vient en toute légèreté. Mais pour cela il m’aura fallu la désirer longtemps…
Ce n’est qu’une fois écrite que la poésie peut devenir une force pour ma propre vie.
La Poésie
Ce que je recherche dans la poésie, c’est qu’elle produise en moi des mouvements, physiques, émotionnels, psychiques, cérébraux, sensitifs, énergétiques,… et si possible simultanément. Je cherche à vivre une expérience irréversible : le fond et la forme au service d’un mouvement interne de sens. Je vais chercher dans la poésie des formes pour ce qui reste informe en moi, ou figé dans une forme sclérosante,… qu’elle m’ouvre du possible, de l’espace dedans, pour y vivre, y respirer, y bouger. Par exemple : « Le corps de la terre où ton corps s’est creusé ». Ça provoque en moi un déplacement, un décalage,… pas une entière étrangeté, mais comme un fil qui relie et qui se tord, dedans et dehors, et qui donne du jeu.
Langue (inédit)
Dans cette langue immobile d’où poussent les pensées
Penser le vide dans son corps jusqu’à la douleur
Jusqu’à la douleur du corps de n’avoir plus de corps
Dans la pensée vider son corps
Et la mémoire
De la douleur
Arrêter la pensée jusque dans sa langue
Jusqu’au silence du corps
Sur son propre silence
Avancer le geste vers son vide
Le vide
Un défaut de langue
Repousser ce corps qui se vide
De sa langue
La langue
Une extension de chair à déplacer
Se déplacer dans cette langue immobile
Ramener la douleur en soi comme un don de langue
Le corps appuyé sur sa langue
Une langue
Partie de soi
Biobibliographie
Née en 1972 elle vit à Paris. Formatrice, elle anime parfois des ateliers d’écriture.
Elle a publié des poèmes notamment dans les revues Le Levant, n° 12 (à paraître), Europe, n°983, L’Etrangère, n°26, Le Préau des collines, n°13, Les Cahiers de Poésie Rencontres, n°55, Le Bateau Fantôme, n°9, Thauma, n°5, Décharge, n°141, N4728, n°15 et n°19, La Passe, n°7, Passage d’encres, n°32, Serta, n°9 et n°10.
Elle a publié dans les anthologies Pas d’ici, pas d’ailleursaux éditions Voix d’encre, « Quels infinis paysages » sur le site Publie.net, ainsi que « couleur femmes » sur le site Terres de femmes.
Elle collabore à des livres d’artistes avec Aaron Clarke, Max Partezana, Dominique Maraval (Editions Signum), Alexandra Fontaine (à paraître aux Editions Approches).
Elle a lu ses poèmes à Poètes en résonances 2011, à la soirée d’inauguration du Printemps des Poètes 2010 à l’Opéra Comique de Paris, sur la scène du Marché de la Poésie 2009, à la Nuit de la Poésie du BIPVAL 2009, sur la scène ouverte de la Maison de la Poésie de Paris 2007, lors de lancement de revues et dans des ateliers d’artistes et galeries. Elle a reçu le Prix des jeunes poètes de la ville d’Arles en 1992.
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